Le poncho aux larmes de lacrimo

Publié le par paris-match-en-poncho.over-blog.com

De retour au pays... Je rattrape le retard accumulé le dernier mois, faute d'avoir intenret à la maison ce qui ne m'a pas empêché d'écrire des articles!

 

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Je l'avoue, ça la fout mal d'écrire un article si tard dans l'année sur les manifs au Chili. Je m'en vais dans une semaine, et c'est si tard que j'ai pris le temps de vraiment aller à une manif, du début jusqu'à la fin, l'appareil photo autour du cou.Du méaculpa venons en aux faits.

 

Depuis plus de 2 mois, de nombreuses facs au Chili sont en grèves et bloquées, en réaction à l'augmentation des frais de scolarité et à la réduction des bourses. Car au Chili, pout étudier il faut être prêt à s'endetter, alors que les pays voisins comme l'Argentine proposent à la jeunesse une éducation gratuite ou en partie financée par l'Etat. Au Chili, 2% seulement du budget est destiné aux études supérieures. Le pire dans tout cela est que la qualité des études ne vaut pas forcément le coup de s'endetter. Les chiliens en ont donc ras le bol de ce système éducatif néo-libéral, et se bougent.

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Personellement, je pensais que le blocus de ma fac ne durerait pas plus de 3 semaines, voilà maintenant plus d'un mois que je n'ai pas cours, et j'ai d'ailleurs rendu tous mes travaux de fin de semestre par mail, les profs sachant très bien que la situation n'allait pas se débloquer d'aussi tôt. Pourtant, à voir la durée du mouvement, et à en discuter avec des amis qui s'impliquent dans le mouvement, j'ai compris que leur lutte n'était peut être pas si vaine. Si le mouvement arrive à tenir le coup jusqu'au mois d'octobre, pratiquement à la fin de l'année scolaire (qui ici commence en janvier et finit en décembre), les facs vont commencer à perdre de l'argent, puisque les lycéens n'obtiendront pas leur diplôme d'études secondaires indispensable pour rentrer en première année d'études supérieures.

 

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Le jeudi, environ toutes les deux semaines, c'est le jour de manif. Le réveil sonne, j'enfile des fringues confo, pensant à toutes les recommendations de ceux qui sont déjà allés aux manifs (presque tout le monde à part moi) : il faut pouvoir courir pour ne pas se faire arroser par le guanaco, se couvrir d'une écharpe contre les gazs lacrimo...

 

Mon coloc me convainct d'emmener mon réflexe, me jurant qu'il n'y a pas de danger autre que les canons à eau, les guanacos, du nom d'un animal qui crache de l'eau semblable au lama. Nous voilà partis, il souffle un vent chaud digne d'un jour de printemps alors que nous sommes au coeur de l'hiver. Arrivés sur le plan, nous nous retrouvons plongés dans une ambiance festive, bruyante; ça grouille de partout. Ce jour là, non seulement les étudiants sont venus manifester, soutenus par leurs parents et quelques professeurs, mais aussi les chauffeurs routiers et les habitants de Valparaiso qui luttent contre la privatisation des espaces publiques; j'aperçois quelques pancartes féministes, pro mariage gay, pour la nationalisation du cuivre ou encore en soutien des ex-détenus de la dictature... Bref, un bon pot pourri de réclamations diverses et variées qui s'ajoutent au mouvement étudiant.

 

 

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(pour la re-nationalisation du cuivre)

AAA-0407.jpg(Pour une nouvelle assemblée constituante, le Chili a besoin d'une nouvelle constitution!)

AAA-0435.jpg(association des ex-prisonniers politiques de Valparaiso)

 

 

Etre dans une manif au Chili est complétement différent de ce qui je connaissais en France. Peu de représentation syndicale, un cortège moins compact. Ici c'est plus la créativité que le nombre qui compte. Il y en a pour tout les gouts, je ne sais plus où donner de la tête. D'un côté, un groupe de filles en petite tenue de cancan, arborant fièrement des pancartes qui donnent “ne me jugez pas, je suis obligée de faire ça pour payer mes études car le gouvernement ne finance en rien les études supérieures”.

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("Que veux-tu que ta fille fasse pour pouvoir payer ses études?")

 

Ou encore 5 amis déguisés de quilles de booling, chacun avec une lettre “L-U-C-R-O” (profit), qui s'arrêtent tous les 50m, se mettent en ligne et se font dégommer par une grosse boule qu'un de leurs amis lance, en signe de protestation contre la recherche de profit plutôt que de la qualité dans l'éduaction supérieure.

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(Photo: Cristobal Derout)

Au Chili, chaque manifestation finit (pratiquement) toujours par un affrontement entre manifestants / carabineiros (la policie chilienne), avec le match tant attendu lancer de pierres/ jet d'eau des camions guanacos + bombes lacrimo. Ainsi en référence à ce qui va se passer 2heures plus tard, des étudiants ont construit un guanaco en carton et lancent de l'eau savonneuse sur les passants. 

 

 


 

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A cela, rajoutez les centaines de musiciens, les marionettes gigantesques dignes de cousins latino-américains de la petite géante et de l'éléphant de Royal Deluxe... Un vrai spectacle que j'apprécie à travers l'objectif, courant de droite à gauche, saluant les copains que je reconnais...

 

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Cela fait à peine 2 heures que la manifestation a commencé quand nous arrivons aux pieds du Congrès National, LE symbole ultra-protégé par les carabineiros, la limite ultime de chaque manifestation. Et alors l'ambiance change brutalement. D'abord car le vent se lève et le ciel s'assombrit, plongeant la manifestation dans une ambiance presque malsaine. Les musiques se font plus discrètes, les jeunes errent sans trop savoir quelle suite donner à cette marche festive. De ce que j'ai pu entendre des autres manifestations, les affrontements commencent toujours une fois la manifestation arrivée au Congrès.

AAA-0654.jpg(le petit chaperon jaune qui venait simplement prendre des photos et pas lancer des pierres, à l'approche du Congrès)

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En parlant d'affrontements, nous y voilà. Seulement, ici les affrontements ne sont pas des cas isolés comme ça l'est en France, où l'on parle de “casseurs” qui viennent détruire l'image de la manifestation, qui n'avaient rien à voir avec le mouvement. Ici, certes certains n'ont rien à voir avec le mouvement étudiant, mais une partie non négligeable des cagoulés sont les mêmes qui manifestaient déguisés 10 minutes plus tard; Certains commencent à lancer des pierres, à insulter les flics... Pour autant, si l'ambiance a changé, je ne me sens en rien en danger.

 

La seconde partie de la manif vient seulement de commencer, celui du jeu au chat et la souris entre manifestants et carabineiros, qui ne sont pas en reste de leur côté. Certes, les jets de pierre commencent d'un côté, mais de l'autre côté de la barrière protégeant le Congrès, les guanacos et camions lacrimogènes sont en nombre, parés à viser sur la foule.Bizarrement, dans ce contexte la présence de la police ne rassure pas, elle fait peur.

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(@Photos Cristobal Derout)

 

Je suis mon coloc chilien habitué des manifs, lui prêtant non sans appréhension mon appareil photo. Nous nous rangeons du côté des photographes, observant l'affrontement qui est pour le moment plutôt dispersé. Durant quelques minutes, le guanaco pointe en notre direction, en direction de tous ceux qui sont seulement en train de prendre des photos. “Vas-y, tire sur nous enculé!” crient certains. Que de la provoc', c'est dingue de voir à quel point ici tout le monde méprise les carabineiros.

AAA-0667.JPG(le canon du guanaco qui pointe sur nous)

 

Mais je les comprends. Ici je sens que les carabineiros eux aussi cherchent l'affrontement, comme si la manière logique de finir toute manifestation était de charger, plutôt que de disperser calmement les gens.

C'est donc ce qu'il se passe. Je suis en train de manger une brochette (détail qui tue), quand d'un coup le guanaco débarque dans la rue où la foule est agglutinée, et commence à tirer des trombes d'eau sur tous ceux qui n'étaient pas en train de lancer des pierres près du Congrès mais qui continuaient au contraire de jouer de la musique et de manifester.

Un passage me frappe, tant il est fort de sens : Un groupe d'une vingtaine de personne se jette face au guanaco et fait bloc, se prenant des litres d'eau dans la figure, mais continuant d'empêcher d'avancer le guanaco. Plus tard sur l'une des photos, nous reconnaîtrons un ami chilien...

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(@Photos Cristobal Derout)

 

Mais dans l'histoire, hormis pour mon appareil photo, je me fous de l'eau qui peut m'arriver dessus. En revanche, les gazs lacrimo sont une autre affaire. Nous étions pourtant bien parés, ayant acheté de l'amoniac, censé aider à respirer et ouvrir les yeux. Manque de peau, quand les gazs arrivent, je me retrouve seule avec ma coloc française, sans amoniac resté dans la poche de mon coloc chilien parti braver le danger. J'aperçois de loin une amie chilienne, je lui attrape le bras, contente de trouver quelqu'un que je connais dans le tas, qui sache me dire vers où aller car je ne vois plus rien. Et surtout je en veux pas me retrouver coincée dans un coin de rue. Mon coeur bat très vite, je cours sans trop savoir dans quelle direction je vais mais sans jamais vraiment paniquer. Mes yeux me brûlent, je tousse, mais je sais que cela va passer.

 

Si je m'étais retrouvée dans ce genre de situation en France, j'aurais réellement été angoissée. Ici, je sais que cela fait partie du pack manifestation-partie 2. Finalement je finis par retrouver mes colocs, qui explosent de rire en voyant ma tête, les yeux désorbités, m'aidant à respirer et retrouver mon calme.

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(après la première vague de lacrimos)

 

Le jeu du chat et de la souris continue ainsi pendant encore 2 bonnes heures, je re-pleure, je cours je ne sais plus combien de fois évitant de me faire mouiller par un guanaco.

 

Durant tout ce temps, je suis simple spectatrice, observant d'un oeil mi amusé- mi énervé cet affrontement qui ne mène à rien à part gaspiller de l'argent et faire suer manifestants comme policiers. Des feux-rouges sont détruits, les camions guanacos épuisent leurs réserves en eau, tout ça pour quoi? Finir la manif avec une bonne dose d'adrénaline des deux côtés, et j'insiste bien sur ce point. Cristobal mon coloc qui reste jusqu'à la fin de la manif me raconte qu'il finit par suivre un groupe de flics, ces derniers ayant le sourire aux lèvres, criant des chants guerriers et se cherchant à faire durer le jeu un peu plus encore...

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(@Photos Cristobal Derout)

 

Je rentre épuisée, trempée (il a fini par pleuvoir à verses), contente d'avoir fini par vivre enfin une manif à la chilienne. Contente sur la forme, pas sur le fond. Mais je ne crois pas que la manière de manifester au Chili changera d'ici tôt. Quelque soit la revendication, les camions de CRS finissent toujours par rappliquer, que ce soit pour lutter contre l'endettement des étudiants, la construction des barrages en Patagonie ou encore la vente de graisse des loups de mer...

Publié dans Valparaiso

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J
<br /> Témoignage!<br /> <br /> <br />
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