Lost in translation : un poncho dans les airs

Publié le par paris-match-en-poncho.over-blog.com

 

Mardi 26 juillet, Vol AF Santiago-Paris.

 

16h10, dans l'avion

 

Traversée des Andes. Depuis ma fenêtre, tout est blanc, je repense à toutes ces fois où j'ai eu l'occasion de traverser cette cordillère : Mendoza, Buenos Aires, La Paz, Salta, retour vers San Pedro... Je repense aussi à la dernière fois où j'ai senti une boule de neige froide me couler dans le dos, lors d'un week end pour mon anniversaire, tous entre amis au Cajon del Maipo, où les 1h de stop en pick-up nous ont emmenés congelés au creux des Andes, avec pour seul vêtement un vulgaire pull en coton.

 

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L'avion décolle, je dis au revoir au Chili, à ce Chili qui m'a changée, ce Chili qui m'a marquée à vie. Depuis tant de temps j'attendais de partir à l'inconnu, à l'autre bout du monde pendant 1an. J'attendais de cette année qu'elle me fasse mûrir, qu'elle m'éclaire sur mes choix futurs. Mon horizon s'arrêtait là, à cette année d'intercambio tant attendue où j'avais en tête des milliers de voyages qui me tendaient les bras. Maintenant que cet horizon est dépassé, je me sens perdue.

 

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Je sais à quel point cette année m'a fait réfléchir, pourtant ce retour en France me fait peur. Peur de revenir par convenance et facilité à l'ancienne Noémie que j'étais, peur de ne pas savoir profiter de cette nouvelle énergie ni de savoir l'exporter dans mon ancienne vie que j'ai laissée intacte.. Je ne rentre pas chez moi, je retourne à mon ancienne vie. Je veux croire encore, le plus longtemps possible que je ne redeviendrai jamais la fille qui est partie il y a 1 an. Organisée, souvent stressée, parfois un vrai petit dictateur, imposant aux autres son programme, ne pensant parfois qu'à soi et à sa liberté, son indépendance.

 

Au Chili et en Amérique Latine, j'ai appris à véritablement me préocuper des gens, ou du moins plus qu'avant. Une vrai introspection venant de la différence culturelle. Car au Chili, on ne valorise pas forcément les emplois du temps super chargés qui certes, permettent de faire beaucoup de choses, mais manquent souvent de spontanéité, d'improvisation, et de véritable implication dans ce que l'on fait, par manque de temps et du fait du cumul des activités.

Au Chili, j'ai appris à me laisser porter, à savoir remettre au lendemain sans remords, à accepter les changements de programme, à suivre des idées folles et pas rationnelles.

 


Le monde, une grande famille

Une discussion avec Cristobal, mon coloc et ami, m'a un jour aidé à mieux comprendre cette différence culturelle. Celui-ci a employé une comparaison peut être simpliste et trop réductrice, mais qui a retenu mon attention. Prenons le monde, divisés en grands ensembles géographiques : l'Europe, l'Asie, l'Amérique latine, L'Amérique du Nord, l'Asie... Essayons à présent de former une grande famille, avec les enfants, adolescents, parents, et grands-parents.Utilisons cette comparaison pour mieux comprendre la différence entre l'Europe et l'Amérique Latine.

 

Ce que j'ai pu constater cette année, c'est que ce que l'on peut dire de la chaleur en Amérique Latine est terriblement vrai. Mais attention, je ne parle pas de la passion sur la piste de danse ou dans les relations hommes-femmes (ce à quoi nous faisons facilement référence en regardant l'Amérique Latine comme la terre de l'insouciance, de la danse au-delà des conflits sociaux et des difficultés diverses de la région).

Plutôt une chaleur, une passion qui se retranscrit dans les projets, dans les idées, dans les relations interpersonnelles, dans les discours.

 

L'Europe, les "abuelos" de ce monde

De retour d'un an en Amérique Latine, je crois pouvoir dire que nous les européens manquons de passion, il faut toujours tout analyser, rationaliser. Nous sommes les “abuelos” du monde, les grands-parents, ceux qui ont su par le passé guider les générations futures, donner l'exemple, mais qui ne détiennent plus forcément la vérité car trop éloignés de la réalité.

 

Par exemple, depuis les bancs de la fac, j'ai pu remarquer que La Révolution française, la Déclaration des droits de l'homme, ou encore les grands philosophes et sociologues français étaient connus et avaient bonne renommée au Chili. En revanche, dans les débats, la France d'aujourd'hui était rarement citée comme un exemple à suivre, beaucoup me demandait ce que mon pays avait apporté récemment ne serait-ce que dans le milieu académique.

 

Les Latinos sont surement les adolescents de ce monde, vivant avec passion mais aussi irraison ce qui s'offrent à eux. Plus inconstants, moins stressés par l'avenir, changeant  pour certains d'orientation comme de chemise, sans pour autant se dire "je suis en train de perdre une année". Qu'est-ce que "perdre une année?!".

 

Là encore, vivre avec des chiliens m'a beaucoup fait réfléchir sur le sujet : 

Erasmo, mon coloc de 26 ans qui réussit son master d'ingénieur décide, alors qu'il commence à travailler en tant qu'ingénieur, de reprendre ses études à zéro pour devenir prof de physique.  

"Tu sais, j'ai toujours tout enchaîné. Je voulais vite arriver sur le marché du travail, j'ai travaillé sérieusement pendant 5 ans. Mais arrivé en entreprise, je me suis rendu compte que ce que je voulais n'était pas faire du profit, mais élever le capital culturel du Chili, enseigner, partager un savoir. Car ce n'est pas le profit qui fera avancer ce pays, mais bien l'éducation". D'un point de vue français, on dirait que mon coloc est idéaliste et "perd 5 ans "en recommençant ses études à zéro (en ayant toutefois un diplôme déjà en poche).

 

Voilà pour moi l'exemple de cette Amérique Latine qui croit en son avenir, même si pour l'instant il reste énormément de choses à obtenir et à construire (cf les manifestations pour la gratuité de l'éducation actuellement). Mais la passion "adolescente" de cette Amérique Latine fait plaisir à voir. Malgré les nombreux dysfonctionnements, il y règne une fois en l'avenir, au développement qui vient progressivement, tandis que nous en sommes en France non plus à faire évoluer les choses mais plutôt à lutter pour ne pas revenir sur des acquis sociaux....

Attention, cela dit à ne pas faire de confusion :  Si la  France n'a rien à envier pour le moment  en matière sociale (santé, éducation, droit du travail...), elle aurait par contre bien besoin d'un peu d'optimisme  latino-américain.

 

L'Amérique Latine, ce sont tous ces pays qui ne sont pas encore sûrs de leur identité, ces pays si jeunes qui se cherchent encore des symboles nationaux tandis que les pays européens se raccrochent justement à leur longue histoire.

 

Amérique du Nord ou l'autorité parentale

L'Amérique du Nord vis à vis de l'Amérique latine représenterait alors les parents, une “autorité” qui a encore beaucoup de poids dans les décisions des pays d'Amérique Latine, ces adolescents qui essaient de se construire une identité propre et de sortir de cette autorité "envahissante", cet impérialisme?


****

 

Faire partie du troisième âge ne fait pas envie alors qu'on vient tout juste de fêter ses 21 ans, mais je ne souhaite pas non plus rester toute ma vie adolescente. N'empêche qu'au Chili j'aurais appris à vivre les choses pleinement, sans me poser de questions, avec passion. Il ne me reste donc plus qu'à trouver ma place en tant qu'adulte, profitant de cette énergie et cette insouciance de l'adolescence latino-américaine, tout en gardant un minimum de rationalité et d'objectifs européens.

 

Oui, voilà on peut le dire je suis paumée. Ces 12h d'avion se doivent être la transition entre deux vives totalement discontinues, entre un monde réel et un monde parrallèle. Dur de pleurer en quittant une terre que l'on aime, en sachant que l'on va pleurer aussi de joie à l'arrivée du trajet.  Perturbant. 

 

AAA-2037.jpg Pleurer de tristesse de partir, de joie de revenir. 

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20h17

Je rentre des toilettes, j'ai des confettis plein les fesses, un souvenir de cet au-revoir à l'aéroport sur des notes festives, comme à l'image de cette année. Après mon anniversaire, le grand drapeau signé par tous, la chanson et le diaporama en notre honneur, tous ces mots personnels et cadeaux intimes, j'ai encore eu le droit à une autre surprise, celle des confettis et de la bombe rouge sur les cheveux juste avant d'embarquer, un dernier fou-rire et une façon de ne pas (trop) pleurer.

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Seulement, maintenant en me regardant dans la glace de l'avion, je me sens triste. Je détone avec les autres voyageurs. J'ai le regard triste, je me sens perdue. Dans moins de 8h maintenant je serai en France, et j'ai toujours l'esprit totalement dans le vague. Ni même au Chili.

 

 

Perdue, lost in translation. J'aimerais pleurer, vider un bon coup pour repartir de plus belle, mais je n'y arrive qu'à motié, car je sais que cette cicatrice chilienne que j'ai ne va pas se refermer de si tôt, et que commencer à pleurer serait une mauvaise idée. J'ai envie d'écrire ces mots en espagnol, je sens qu'à présent j'ai envie de rejetter le français, je réponds en espagnol au steewart... AAA-2104.jpg

 

(Panne de batterie)

 

 

Mardi 16 août 2011, 16h25 en France, 10h25 au Chili.

 

Cet article a tardé à venir non pas par manque de temps. Il fallait reprendre ces bribes écrites sous le coup de l'émotion dans l'avion. Simplement, je ne m'en sentais pas capable et je n'avais pas le recul nécessaire pour le faire dès mon arrivée. A présent, relire ces mots m'émeut, car jamais depuis je n'ai ressenti si fort mon départ. Jamais depuis je ne me suis sentie aussi perdue. Tant mieux, c'est surement la preuve que dans cette Europre, cette France vieille et désuette, trop rationelle, il restait encore plein de choses pour s'y sentir bien. Retourner à la vie normale ne se fait pas rapidement, c'est un processus et je n'en suis qu'au début. Pour autant, rien ni même le temps pluvieux du mois d'août n'arrivera à me faire déprimer.

 

Je vis ma vie française sans jamais oublier le Chili, sentant ce “pedazito” chilien, cette partie en moi, un pedazito qui m'aide chaque jour à prendre mes décisions. Ce n'était pas une parenthèse, cette année a été une étape, mais la vie continue, sans oublier comme un vieux songe les moments passés là-bas. Si j'ai définitivement dit adieu à une période de ma vie, dans l'insouciance du port de Valparaiso, je n'ai dit qu'au-revoir à tous ces amis que j'ai rencontré là-bas. Pour reprendre les termes de Jean-Marie, “Mas un hasta pronto que un adios”.

 

 

 

America Latina, nos vemos pronto. AAA-1210.jpg

 

 

Noémie, août 2011.

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A
<br /> Belle introspection...pour une marche en avant...! Il y a tjs de "belles choses" à réaliser. Bisous.<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Très bel article, plein d'émotions...<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Bon retour quand même !<br /> <br /> Ps : Encore un bel article !<br /> <br /> <br />
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